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On ne boxe pas avec un kangourou

On aime ou on n’aime pas Novak Djokovic. Personnellement, à l’esthétisme de Federer, je préfère la détermination de Nadal. Trois immenses champions, trois styles opposés, trois palmarès extraordinaires qui relèguent les Sampras, Agassi et Connors, les champions de ma jeunesse, au rang de souvenirs d’un autre temps. Dans un autre temps …

GÉRONTE : Que diable allait-il faire dans cette galère ?

SCAPIN : Il ne songeait pas à ce qui est arrivé.

(…)

GÉRONTE : Que diable allait-il faire dans cette galère ?

SCAPIN : Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes.

Les Fourberies de Scapin – Molière.

On peut être « champion des champions » [1] et se mettre dans une galère sans nom. Mais que diable Novak Djokovic est-il allé faire dans cette galère. On lui pardonnera de ne pas avoir lu Molière mais pas d’autres ignorances. A l’aube d’entrer définitivement dans le panthéon du tennis (record absolu de Grand Chelem gagnés), qui du Covid, qui de sa toute-puissance de numéro 1, qui de sa fierté et de son nationalisme serbe l’a embarqué dans cette galère ? Probablement une catalyse des trois.

A tous ceux qui sont passionnés de stratégie, ou qui simplement s’y intéressent, est-il véritablement nécessaire de revenir à l’Art de la guerre de Sun Tzu au Prince de Machiavel ou De la guerre de Clausewitz pour comprendre les cinq fautes directes de Novak Djokovic lui faisant perdre jeu, set et match ?

1 – Connaître son adversaire : du haut et de sa puissance de numéro 1 du tennis et, accessoirement de sa position de président du syndicat des joueurs, il a sans trop de difficulté, et a priori avec quelques faux en écriture, fait tordre les règles parfaitement claires établies par le tournoi pour obtenir son droit à participer. Victoire facile face à un 1er adversaire dont les intérêts étaient évidents dans le dossier. L’État de Victoria, 2ème adversaire, a donné avec une légèreté complice son aval. Avoir le droit de participer au tournoi ne vaut pas autorisation d’entrer en Australie. L’équivalent local de notre Police aux Frontières dépend de l’état fédéral. C’était ignorer, ou vouloir ignorer, sinon se tromper d’adversaire de ne pas inclure douane et état fédéral dans l’équation. N’avait-il rien lu sur la façon dont l’Australie a choisi de faire face au Covid ? Comment a-t-il pu imaginer que l’État Australien accepterait une exception à ses règles ? S’il y a eu analyse de sa part sur le sujet, l’erreur est énorme.

2 – Avoir les armes adaptées au combat : sur le cours, Djokovic les a toutes, et même plus. Je conseille à ceux qui seraient intéressés de regarder son travail de concentration par la visualisation mentale avant chaque match. Pour la prochaine négociation commerciale, la recherche d’un financement, l’animation d’un conseil d’administration ou d’un comité de direction qui s’annonce difficile, son expérience dans le domaine peut tous nous inspirer. Peut-être a-t-il tenté le passage en force, mauvais calcul, le meilleur des passing-shots laisse de marbre les kangourous. Peut-être a-t-il tenté le bluff. On bluffe sur le cours, pas la cour.

3 – Avoir des alliés : on ne peut pas gagner sans alliés. Un champion, un chef de guerre, un entrepreneur, n’est pas un homme politique, il peut accepter de ne pas être aimé, il peut même en faire un moteur. A l’heure du tout Instagramable et de la course au like, Djoko a cette qualité de l’indépendance. C’est une qualité jusqu’au moment où elle aveugle. Djokovic n’a pas d’alliés. Papa, maman et un frère, pour une pseudo conférence de presse conclut avant que les journalistes ne puissent poser leurs questions, ne forment pas une armée alliée. La Serbie, son gouvernement, son président, s’affichant derrière son champion, n’a de pouvoir d’influence que sur les Serbes. A-t-on entendu ailleurs des soutiens audibles ? Des anti-vax ? Ce n’est pas le débat. Pire, il a réussi à faire sortir Raphaël Nadal de sa réserve légendaire. L’Espagnol en a oublié sa langue de bois journalistique pour quelques montées au filet prenant la forme d’une série de volées puissantes.

4 – Le fou du roi : tout roi doit avoir son fou, celui qui a le droit de dire ce que personne n’ose lui dire. De fou, il n’y avait là que la tentative de forcer la frontière australienne.

5 – Ne mener que les combats que l’on peut gagner : il est impossible qu’il n’ait pas connu les règles d’accès au territoire australien. S’il n’a pas imaginé dans sa stratégie que l’état australien serait l’adversaire final, il ne pouvait pas comprendre qu’il allait perdre. Je n’ose pas penser qu’il le savait et qu’il a osé délibérément ouvrir le combat contre un état souverain et démocratique… Même si de nombreux exemples montrent depuis quelques années que tout est imaginable dans les combats de certains, heureusement, certaines digues tiennent encore et janvier apparaît comme un mois de résistance : 2021, la démocratie américaine résiste à l’assaut du Capitole ; 2022, l’État Australien résiste à Nole [2]. Ces attaques deviennent trop fréquentes pour ne pas être inquiétantes ; je laisse à chacun l’analyse de leurs points communs qui ne sont pas ici l’objet. Remercions l’Australie d’avoir plus de valeurs sur terre que sous les mers.

Une autre question s’ouvre maintenant. Djokovic, c’est selon Forbes, 30 millions de dollars de contrat de sponsoring en 2021 : Lacoste, Asics, Peugeot, Hublot, et d’autres… Leurs réactions vont être intéressantes à observer. Sanction ou silence en attendant que l’orage passe ? Un peu d’animation doit régner dans certaines salles de crise. Espérons que d’ici Roland-Garros, notre ami Covid soit enfin relégué au rang de grippe d’hiver et que l’on reparle de tennis.

Non, Novak, à ton niveau, tu n’avais pas le droit de faire ces erreurs. Cette défaite est la plus cuisante de ta carrière, elle ne sert ni ton image, ni ton palmarès, ni ton sport, ni ta Serbie. Reste dans ton tennis, ta compétence, ton talent.

Si certaines victoires sont inutiles, certaines défaites sont évitables.


[1] Titre décerné annuellement par le journal l’Équipe. Voir édition du 29 décembre 2021.

[2] Surnom Serbe pour Novak