Le management de la complexité 1/7
« Rien n’est permanent, sauf le changement » nous enseignait Héraclite. Du changement à l’incertitude il n’y a qu’un pas. Et la complexité n’est jamais très loin. Dans le livre « le management de la complexité », fruit d’un travail de recherche de trois ans mené dans le cadre d’un DBA (Doctorate of business administration), je présente sept clés pour mieux affronter la complexité du monde actuel.
Dans cet article, je propose un résumé de la 1ère clé : complexe ou compliqué ?
Ces deux mots sont de racine latine :
- compliqué trouve son origine dans « complicare » dont le sens ne semble pas appeler de débat : enrouler ou plier. Dans notre langage commun, enrouler et plier ne sont pas difficiles à démêler, comme dit le Larousse, il suffit de dérouler ou de déplier !
- complexe nous arrive de « complexus », participe passé de « complector » dont le sens est « embrasser », d’abord littéralement (enrouler avec les bras), puis par l’esprit. « Plecto » est un verbe qui veut dire tisser, tresser, imbriquer, trois caractéristiques que l’on imagine aisément plus « difficile de démêler » qu’un pliage ou un enroulement.
Ces origines latines viennent donc confirmer ce sentiment lié à notre langage familier que le mot compliqué caractérise une chose plus simple à aborder que si elle est qualifiée de complexe. De façon classique, depuis leur origine latine, les deux mots ont vécu leur propre vie. Si dans le langage commun d’aujourd’hui, compliqué ou complexe sont souvent utilisés sans trop de précisions, le monde des sciences s’accorde sur des sens différents.
« La complication désigne un empilement et une imbrication de dispositifs ou de paramètres de tous ordres dont on peut néanmoins venir à bout avec du temps et de l’expertise »[1]. Prenons deux exemples :
- faire alunir Apollo XI est compliqué, pas complexe. C’est le résultat du programme lancé par JF Kennedy qui, mission après mission, a permis de développer expériences, expertises et routines pour permettre à N. Armstrong de poser le pied sur la lune le 20 juillet 1969 ;
- dans l’art de l’horlogerie, une complication est le nom d’une fonction, autre que l’heure, donnée par la montre : cycle lunaire, fuseaux horaires, bip sonore, heure de lever et de coucher de soleil, etc. … Le boîtier de la montre n’est fait que de mécanique, de savoir-faire et d’expertise.
« La complexité désigne tout ce qui dépasse nos capacités de modélisation et d’entendement »[2] :
- rapatrier Apollo XIII sur terre après l’explosion d’un réservoir d’oxygène est complexe. Aucun processus préétabli ne peut répondre à cette situation qui de toute façon n’avait pas été imaginée. Toute crise comporte en elle les composantes de la complexité ;
- la prévision météo est complexe. Le champ des possibles et de l’imaginable croit de façon exponentielle dans un temps très rapide. La carte de la trajectoire supposée d’un cyclone est une bonne illustration de cette complexité. C’est une image qui s’élargit sur la carte pour se diluer assez rapidement dans un espace-temps de 48 à 72 heures.
Un système compliqué n’a pas de vie propre. On dit qu’il est déterminé, la connaissance des données d’entrée permet de connaître les données de sortie : le robot de la chaîne de montage de la Clio produit des éléments de Clio. Sans intervention de l’ingénieur qui viendrait modifier le programme, le robot fera toujours le même travail, il bouge mais n’a pas sa propre vie.
Un système complexe est vivant. Il génère ses propres évolutions. Un point de départ clair et connu ne garantit pas une évolution similaire dans le temps, pas plus qu’un résultat déterminé ou prévisible : l’augmentation du prix de l’essence à l’origine du mouvement des gilets jaunes génère très rapidement une situation complexe et auto génératrice d’un nombre de situations nouvelles se succédant à une vitesse élevée assez étonnante alors même que le prix des carburants est redescendu.
La complexité n’est pas nouvelle et le monde d’aujourd’hui n’est pas plus complexe qu’hier. Si ce mot est tellement à la mode, c’est qu’il cache une facilité de langage idéale permettant de ranger derrière lui tout ce que notre époque peut avoir d’incertitudes et de difficultés de compréhension.
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » disait Albert Camus. En retournant aux fondamentaux, l’étymologie des mots, permet d’éclaircir le langage commun. Mieux identifier ce qui ressort du compliqué permet de préciser le territoire du complexe :
- le premier s’explique par la logique, la science, la connaissance, l’expertise et n’obéit qu’à des règles identifiées, il est déterminé ;
- le deuxième est vivant, dépasse l’entendement et nos capacités de modélisation. Le danger, et cela explique l’utilisation trop large du mot complexe, c’est que l’entendement ou l’expertise des uns n’est pas forcément celui ou celle des autres.
Avant de ranger une question ou un problème au rayon du complexe, à chaque pas, il faudra toujours se demander si quelque part, pour quelqu’un, le sujet ne serait pas simplement compliqué.
Cette première clé, qui permet de mieux définir le champ du complexe, est une première étape, non pas pour simplifier le problème, mais pour mieux l’affronter. En effet, la simplification du complexe est un danger : chaque simplification est une « amputation » nous dit Edgar Morin. Chacune de ces amputations est une sorte de refus, volontaire ou non, qui au mieux, calmera temporairement la complexité, au pire, la rendra rapidement encore plus complexe.
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Michel MATHIEU – Février 2023
[1] Dominique Genelot / Jean Louis Le Moigne – 2017
[2] Dominique Genelot / Jean Louis Le Moigne – 2017