Entre le budget prévu par la loi de finance de 2024 et les dernières prévisions à disposition, le déficit des comptes publics 2024 est supérieur de 20 milliards aux 147 milliards prévus, soit + 13 %, soit 6,1% du PIB. Erreur ? Incompétence ? Perte de contrôle ?
Commençons par les chiffres clés :
Budget 2024 : 453 milliards. Déficit : 147 milliards soit 5,1% du PIB.
Dépenses 2023 : 454 milliards. Déficit : 154 milliards soit 5,5% du PIB.
Prévision 2024 : fausses ! Déficit : 167 milliards soit 6,1% du PIB.
Dette publique française (juin 2024) : 3.228 milliards – 112 % du PIB.
Poids de la dettes (les intérêts) : 75 milliards.
Pour le dire poliment, cette présentation en % du PIB largement utilisée est un trompe l’œil. Même si c’est un standard international de présentation, le déficit affiché en % du PIB n’induit pas la bonne réflexion. Dans la vie normale, un déficit de 167 milliards par rapport à un budget de 453 milliards, cela correspond à un déficit de – 37 %. Cela signifie que si vous gagnez 1.000 €, vous dépensez 1.370 €. À ce niveau de perte, toute entreprise serait en faillite depuis longtemps. Certes l’État n’est pas une entreprise, mais cela explique pourquoi un ex-premier ministre (Fillon) avait pu dire dès 2007 : « je suis à la tête d’un État en faillite ».
On sait, en tout cas pour ceux qui s’y intéressent, que les modèles économiques du XXe siècle qui servaient de base aux prévisions ont perdu de leur fiabilité. On imagine qu’à Bercy, ils le savent. Alors, d’où peuvent venir ces erreurs et cette incapacité à prévoir et maîtriser les comptes de la France ? Entre savoir que les modèles sont obsolètes, entre savoir que les prévisions sont de plus en plus fausses, et en faire quelque chose, il y a un pas. C’est même un grand pas quand il s’agit de faire évoluer un système de pensée, des habitudes, voire des certitudes.
Au-delà du court-termisme des moins pires de nos hommes politiques, de l’aveuglement dogmatique des autres et de l’ignorance des cancres qui font du bruit au fond de la classe, franchir ce pas nécessite d’abord de la compétence. On peut d’abord se poser la question des compétences des milliers de personnes travaillant dans l’antre de Bercy. Et si compétence il y a dans les rouages du ministère, comment peut-elle être autant annihilée dans les sphères des brillants esprits que sont soi-disant nos fameux inspecteurs des finances ? À ce niveau d’erreur, comment ne pas remettre en question la compétence d’un système, celle des responsables, celle des ministres ? Il y a savoir, il y a faire et il y a le savoir-faire. Tout le monde sait, mais qui fait ? Et reste-t-il du savoir-faire ?
Budget après budget, prévision après prévision, il semble que les chiffres soient de plus en plus faux. Surtout, il semble surprendre tout le monde, à Bercy et en tout premier lieu l’ex-ministre des Finances, Bruno Le Maire. Quand un ministre des Finances écrit son septième livre en huit ans d’exercice, quel que soit son talent, son intelligence, sa capacité de travail et les légendaires nuits courtes de nos élites, quand est-ce qu’il travaille ? La question ne se poserait peut-être pas si les chiffres étaient justes, mais ils sont faux, faux et hors contrôles. Bien écrire pour quelques-uns, très bien parler pour beaucoup d’autres, ne sont pas des compétences suffisantes pour assurer l’avenir de notre pays.
Le pas qu’il faut passer s’appelle aussi le courage, le courage de regarder les choses en face, le courage de leur donner leur vrai nom, le courage d’en prendre des décisions, le courage de les expliquer ; autant de courages qui semblent tout aussi absents que les compétences. D’ailleurs, chez un responsable, le courage n’est-il pas une compétence ? Pourquoi une telle démission de nos élites ? De nos dirigeants ? Peut-être parce qu’il n’y a pas de sanction. Responsable mais pas coupable, c’est tellement facile.
Ce pas s’appelle aussi le sureffectif de fonctionnaires. Pour avoir côtoyer ces sphères de près, plus il y a de monde, plus ce monde invente son propre travail en se déconnectant de plus en plus des ordres et de la hiérarchie. Mais y-a-t-il encore des ordres et une hiérarchie ?
Ce sont beaucoup de choses à remettre en cause et à remettre en ordre. Comme pour le budget d’une entreprise et plus encore, comme pour le budget simplement d’une famille, à quand une obligation d’équilibre budgétaire avec sanction pour ceux qui ne la respectent pas ? Qu’est-ce qu’il est difficile à comprendre dans le fait de ne pas dépenser plus que ce que l’on gagne ? La réponse est peut-être dans le fait que ce ne sont pas eux qui gagnent ce qu’ils dépensent.
Michel MATHIEU
Doctor of business administration
Octobre 2024